Un défi artisanal : la réplication de la mythique Les Paul ’59
En tant que fabricants de guitares artisanales, nous sommes souvent confrontés à des demandes exigeantes. Lorsqu’un de nos clients nous a approchés avec l’idée de fabriquer une réplique de la célèbre Gibson Les Paul de 1959, nous avons su que ce serait une entreprise passionnante. L’objectif ? Restituer l’esthétique et le son iconiques de l’originale, tout en respectant l’esprit de l’artisanat traditionnel de l’époque à propos duquel il a fallu effectuer beaucoup de recherches et d’analyses. Dans cet article, nous vous emmenons dans les coulisses de notre atelier, révélant chaque étape de notre processus de fabrication minutieux pour cette guitare d’exception. Préparez-vous à découvrir l’art, la science et la passion qui animent notre travail.
Processus de fabrication
Si on aime les guitares Les Paul, on aime l’Acajou. Plus particulièrement celui d’Amérique centrale. Il faut donc partir d’une belle poutre d’Acajou du Honduras. Très difficile à trouver en France. D’autant plus vrai qu’il faut un morceau de forte largeur, ce qui n’est pas commun, pour faire passer un corps en une seule pièce, comme ce que Gibson proposait dans les années 50.
Pour le contrôle, je mesure la masse volumique de mes poutres d’Acajou, à l’aide d’une balance à l’ancienne !


Avec un poids relativement léger de 560kg par mètre cube, cette poutre d’Acajou se révèle être le choix idéal. En construisant une réplique de Gibson Les Paul, il est primordial d’utiliser des bois légers. La taille substantielle du corps de la guitare requiert un volume de bois considérable. Par conséquent, si l’on n’est pas attentif au choix du matériau, le poids de l’instrument peut rapidement grimper, compromettant la jouabilité et le confort du guitariste. Choisir judicieusement le bois est donc une étape cruciale pour respecter l’équilibre parfait entre poids, sonorité et esthétique.
Une fois le tronçonnage effectué et l’épaisseur du corps définie, vient l’étape délicate du choix du motif. La lutherie est une discipline qui demande constamment des prises de décision. Ici, on place un gabarit qui nous montre par transparence les futurs motifs de la guitare.


La table en érable ondé – la signature ultime de la guitare
Au niveau construction, l’autre partie importante, voire la plus importante, c’est la table. C’est ce que j’aime. La Les Paul a cet intérêt que pour un instrument industriel, la présence d’une table figurée va contribuer à rendre chaque instrument unique visuellement. L’une des caractéristiques distinctives de la Les Paul est que, même en tant qu’instrument initialement produit en série, l’introduction d’une table figurée apporte une touche unique à chaque guitare, faisant de chaque pièce une œuvre d’art visuellement unique.
L’appréciation de la table est hautement subjective et joue un rôle crucial dans l’esthétique finale de la guitare Les Paul ’59 Replica. C’est pourquoi j’ai pris soin de présenter au client une sélection variée d’une petite trentaine d’exemples d’érables ondés. Suite à des échanges approfondis et à une attention particulière portée à ses préférences, nous avons finalement choisi ensemble la table qui correspondait le mieux à ses attentes.

Une fois cette étape franchie, j’ai méticuleusement refendu et collé la table choisie. La prochaine décision à prendre concernait la partie de la table qui serait préservée dans ce morceau. Cette étape nécessite une grande expertise en lutherie, un sens esthétique aigu et une compréhension profonde des caractéristiques sonores de la Les Paul. C’est ici que le caractère unique de chaque guitare que nous fabriquons prend vraiment forme, révélant le potentiel de chaque table pour créer une réplique authentique de la Les Paul 1959.
Reste à coller ces deux parties. C’est un processus qui requiert une grande précision et une connaissance approfondie des principes de lutherie. D’abord, la surface de collage doit être parfaitement préparée, sans imperfections, pour garantir une liaison solide et durable. Ensuite, le choix de la colle joue un rôle significatif. L’application de la colle doit être soigneusement effectuée pour assurer une couverture uniforme, sans excès. Enfin, le processus de pressage et de séchage doit être méticuleusement surveillé pour s’assurer que les pièces adhèrent correctement et que la forme finale est préservée.



À ce stade on peut faire toutes les défonces nécessaires, cavités électroniques, trous de potentiomètre, chevalet, poche de manche.
Une guitare Les Paul est aussi connue grâce à sa table galbée, inspirée des guitares acoustiques. De manière artisanale, on peut réaliser cette opération suivant plusieurs étapes. Pour ma part je commence par tracer sur la table quelques lignes de niveau, à suivre à la défonceuse pour créer une sorte de galbe “pixellisé”. La forme du galbe est alors présentée de façon grossière, en marches d’escalier.

Il faut à présent beaucoup de temps pour réussir à casser ses formes de marches et obtenir une ligne de contour progressive et harmonieuse. On travaille donc du plus grossier au plus fin, rabotage, râpage, ponçage. Il est vrai que ce galbe est original et a un bel effet:

Pour respecter les codes de la Les Paul 59, il faut bien penser à mettre la fileterie plastique sur le contour du corps, côté table. Cette idée est là encore directement inspirée des guitares acoustiques. Première étape, rainurage de la fileterie, ensuite collage.


Création du manche

Je prédécoupe le manche dans la masse d’une poutre d’Acajou d’Amérique centrale. Je ne fais aucun collage pour garder une esthétique parfaite. D’autant plus que pour cette fabrication le client désirait une finition incolore, qui laisse donc bien voir le bois et la construction de la guitare. Pour avoir le contour final du manche, on suit bien à la découpe les gabarits apparaissant sur cette image.
Les guitares Les Paul ont une tête noire due à un fin placage de plastique sombre apposé sur l’Acajou. Je n’adhère pas à cette manière de faire, je préfère les matériaux naturels comme le bois, en plus il existe quelques espèces de bois noir tel que l’Ébène du Gabon. La ressource est abondante et facile à trouver, alors autant utiliser cette espèce ; pas de plastique, pas de teinte artificielle pour obtenir un noir profond. En plus de cet aspect avec du bois je peux contrôler facilement l’épaisseur de placage pour avoir un rendu dans les “codes esthétiques” de la lutherie, ce que ne fait pas Gibson pour moi. La tranche de la tête est plus agréable à l’œil.

Sur ce sujet toujours, je m’écarte aussi un peu de l’original en optant pour le bois pour les deux plaques de cavités électroniques. Comme pour la tête j’ai choisi l’ébène du Gabon (plus noble que le plastique).


Avant le collage du manche j’incruste mon logo sur la tête. Comme il s’agit d’une fabrication “vintage”, j’utilise un logo modifié dans un esprit historique ;-) Le texte est découpé dans un matériau naturel, iridescent, la nacre blanche. Les propriétés de cette matière vis à vis de la lumière offrent un rendu magnifique, impossible à obtenir avec un matériau synthétique.
Ensuite, je dessine au crayon l’emplacement du logo sur la tête de la guitare, puis je creuse délicatement l’intérieur. J’agrandis progressivement le trou jusqu’à ce que la nacre puisse s’insérer sans forcer, sur toute sa hauteur. Il est essentiel de respecter ce dernier point, car la nacre peut se briser si on la force à entrer. Ce n’est qu’après ces étapes qu’on peut procéder à son collage. Au-delà de l’aspect esthétique, l’avantage de l’incrustation de nacre réside dans sa durabilité, contrairement aux logos peints ou appliqués par autocollants. L’incrustation de nacre permet même de reponcer et de revernir la tête de la guitare !
