Fabrication d’une guitare jazz manouche
Au moment de s’attaquer à la création d’une guitare jazz manouche, nous nous sommes penchés sur l’histoire – riche – de ce type d’instruments. Voici quelques considérations qui ressortent de nos recherches et qui ont orientées la fabrication.
Retrouvez la spécificité de la fabrication d’une guitare jazz manouche par un luthier. Ainsi qu’en fin d’article, le film du processus : du premier collage à l’instrument fini.
Tout le monde connait Django Reinhardt, guitare légendaire s’il en est, qui aura été un des initiateurs du style “jazz manouche“. Depuis, de Biréli Lagrène à Angelo Debarre, ce style a fait florès.
Il se trouve que ce style musical se pratique sur une guitare aux spécifications particulières. Ces spécifications sont un bon challenge pour la lutherie de part la précision de leur conception ! Ce type de guitare fait partie du patrimoine de la lutherie française et méritait qu’on s’y intéresse.
Les origines des guitares jazz manouche
Le premier modèle que nous retenons est le modèle construit par la marque française Selmer avec l’appui du guitariste – et facteur ! – Mario Maccaferri qui rejoint la firme en tant que luthier. Le premier modèle “Orchestra” ou “grande bouche”, sort en 1932 des ateliers Selmer de Mantes-la-Ville, en région parisienne. Ce sera ce modèle que nous fabriquerons ensuite.
Guitare jazz manouche de type Selmer Maccaferri Orchestre en fabrication à l’atelier Favier Guitars
Innovations techniques de la 1ère Selmer “Maccaferri” Orchestra – 1932
Ce modèle présente des innovations marquantes dans l’histoire de la lutherie. Tout d’abord, le pan coupé permet au guitariste d’accéder facilement aux notes aigües. Le second signe distinctif de ce modèle est la “grande bouche” en forme de D dont le design est inspiré de l’Art Nouveau.
Ensuite, il s’agit d’une des premières guitares à posséder un manche renforcé. En effet, une barre de tension renforce le manche pour une meilleure durabilité. Une autre innovation apportée par Maccaferri fut d’enfermer l’engrenage des mécaniques sous un capot. Elles deviennent plus fiables et plus résistantes. D’ailleurs, ce principe efficace est toujours utilisé. Enfin, Maccaferri intégra un résonateur dans la caisse.
La caisse (gauche) vidée de son résonateur (droite)
Le résonateur – vie et mort d’une innovation
En gros, le résonateur interne est une petite boite à l’intérieur du corps de la guitare jazz manouche. Il est collé à la table d’harmonie, sur tout le pourtour, et est simplement suspendu à l’intérieur de la caisse extérieure de la guitare. Une sorte de seconde caisse dans la première. Le son produit s’échappe alors par la large bouche.
Maccaferri est un perfectionniste. Il pense que le corps humain amortit les vibrations du dos de la guitare. Le résonateur est sensé, lui, pouvoir résonner librement. Pendant ce temps, le véritable dos de la guitare n’est plus sollicité. Il est permis de douter de cette assertion car cela ne donne pas plus de volume à la guitare. Seulement, cela change beaucoup le son, comme un “bass reflex” qui modifie aussi fondamentalement un son.
La présence de ce résonateur sur une guitare jazz manouche est assez controversée. En effet, il rend la lutherie difficile ainsi que la réparation des guitares. De même, il semble provoquer à la longue un bourdonnement indiquant une instabilité dans le temps. Les guitaristes préfèrent son absence – Django Reinhardt demanda apparemment qu’on le retire de sa guitare.
Maccaferri quitta Selmer après à peine 18 mois, le résonateur est abandonné. Le modèle “Maccaferri” Jazz – dite “petite bouche” – le remplace en 1936.
La guitare Selmer Maccaferri Jazz de 1936
Fabrication d’une guitare jazz manouche “Grande Bouche”
Nous avons choisi de rendre hommage à cette grande dame de la lutherie française en construisant un modèle unique. Nous avons choisi des bois français pour le fond et les éclisses, à savoir le noyer et le poirier. Grande bouche, diapason en 670mm, nous avons produit une réplique qui croise les vieux modèles Selmer évoqués plus haut. Le fond en 3 parties est assez unique en son genre.
Ce qui différencie la guitare manouche, par rapport aux guitares de l’époque comme les Martin, est l’utilisation d’un grand diapason ainsi qu’un barrage différent du X habituel Martin, car à la fois horizontal et très galbé (voir ci-dessous dans le film de la fabrication). On reprend aussi les codes jazz avec un chevalet posé sur la table, qui elle n’est pas percée pour laisser passer les cordes. En effet l’effort de traction est supporté par le cordier, fixé sur le talon, en clé d’éclisse.
La Favier Guitars Maccaferri grande bouche 100% française en construction à l’atelier
Film de la fabrication
Barrage du fond
Fond finalisé
Mise en place de la fileterie pour la rosace (11 brins)
Collage de la rosace de la “Grande bouche” à part
Table après incrustation de la rosace
Barrage de la table d’harmonie type Selmer Maccaferri
Pan coupé avant le collage du fond
Collage du fond et de la table finalisée. Le barrage, bien visible ici diffère grandement du barrage en “X” type Martin.
Caisse avant le collage de la table
Collage de la table
Assemblage manche/corps à queue d’arronde. Ajustement à la main
La complexité du fond et du manche nécessite une extrême précision dans l’alignement.
Sources :
“Les 1001 guitares avec lesquelles vous rêvez de jouer“, Terry Burrows