Pourquoi un des tout meilleur guitariste du monde – le guitariste de Queen, Brian May – joue-t-il sur un instrument unique ? En quoi cette guitare est-elle unique ?
En effet, la fameuse Red Special de Brian May est faite maison, tout simplement. En ce sens, elle est la preuve qu’un instrument unique ne représente jamais mieux un musicien singulier. On ne répètera jamais assez cette valeur centrale de Favier Guitars !
La guitare “Red Special”, donc, a été conçue et construite par Brian May et son père Harold entre 1964 et 1966. C’est l’une des guitares électriques les plus extraordinaires, les plus innovantes et les plus complètes jamais construites. Au-delà d’être un guitariste célèbre, Brian May est très sous-estimé en tant que contributeur à la lutherie !
Brian avec la Red Special chez lui à Feltham fin des années 60. La guitare a été fabriquée “en deux ans de temps libre, avec des outils à main – rabots, ciseaux et scies, et beaucoup de papier de verre”.
Les origines de la guitare Red Special
Les guitaristes sont des gens bien particuliers, et beaucoup d’entre eux ont un lien étroit avec les instruments qu’ils jouent.
En général, il s’agit d’une marque de guitare spécifique ou d’une certaine configuration requise pour obtenir le son qu’ils recherchent. Mais personne n’a de lien plus étroit avec un instrument que Brian May avec sa Red Special.
La guitare avec laquelle il a tourné et joué tout au long de sa carrière avec Queen et au-delà a eu des débuts très modestes. Elle a été construite de toutes pièces par Brian et son père Harold May.
C’était au début des années 1960 et un jeune adolescent, Brian May, voulait une guitare électrique. Le problème était que ces instruments, relativement nouveaux, étaient encore assez chers. Qu’il s’agisse des Gibson, Fender bien sûr mais même des Hofner – les copies anglaises de celles-ci -, elle dépassaient les moyens du modeste budget familial.
Cependant, Harold, le père de Brian, était ingénieur en électricité et une sorte de Géo Trouvetout. En effet, il a construit la radio, la télévision et même les meubles de la maison. Harold proposa à son fils de construire une guitare électrique à partir de rien, comme un projet père-fils.
Ce fut le début d’une odyssée de deux ans qui a abouti à la création de l’un des instruments de musique les plus célèbres du monde.
Brian May – guitariste célèbre, luthier sous-estimé !
“A partir de 1963, nous avons fabriqué ma Red Special, mon père et moi, dans l’atelier qu’il avait aménagé dans une chambre d’amis, en deux ans environ, sur notre temps libre. Le tout avec des outils à main – rabots, ciseaux et scies, et beaucoup de papier de verre, à partir de morceaux de récupération.”
Découvrons en détail la composition et la fabrication de la Red Special
Corps et manche
Le manche de la guitare est en acajou, fabriqué à partir d’un manteau de cheminée de l’époque victorienne. Le bâtiment qui abritait la cheminée avait disparu depuis longtemps, et Harold disposait de ce morceau de vieux bois dans son atelier. Brian a rempli les trous laissés par des vers avec des allumettes lorsqu’il découpa le manche.
Quelques marques du manche qui correspondent aux trous bouchés avec des allumettes par Brian May. On distingue aussi les marquage des cases.
Le manche à 24 frettes a été fini avec une touche en chêne, et même les marqueurs de frettes ont été personnalisés avec deux points à la 7e et 19e frette et trois à la 12e et 24e.
Le corps central de la guitare de Brin May a été créé à partir de chêne, recyclé d’une vieille table. Les côtés de la guitare peuvent être faits d’un matériau plus faible puisqu’ils n’ont pas à supporter la tension des cordes. Ainsi, ils ont été fabriqués en panneau latté – un matériau fabriqué à partir de blocs de bois tendre pris en sandwich entre deux pièces de placage déroulées en contre fil.
Tout le bois fut coupé, sculpté et façonné en utilisant uniquement des outils à main. Étant donné que le chêne et l’acajou sont des bois durs, on peut aisément imaginer le temps passé à la réalisation du manche !
Toutefois, le manche n’est pas qu’un morceau de bois massif. La plupart des manches de guitare comportent une tige d’acier appelée barre de tension (“truss rod” en anglais). Cette barre aide le bois à lutter contre la tension des cordes. En cela, la guitare de Brian May n’est pas différente. Brian et Harold ont chauffé une extrémité d’une tige d’acier, puis l’ont pliée en une boucle. La boucle a été boulonnée sur le corps de la guitare, tandis que le reste de la barre traverse le manche jusqu’à l’extrémité de la tête.
On distingue bien ici la boucle de la barre tension enroulée autour de la vis à filetage du boulon raccordant le manche au corps
Enfin, Brian voulait à l’origine que la guitare soit semi-acoustique, il a donc sculpté des chambres de résonance dans le bloc de bois. Il avait même prévu de faire une ouïe dans le corps de la guitare. Cependant, comme il le dit lui-même, le degré de difficulté était trop important.
Le trémolo – une innovation majeure de la guitare de Brian May
Les guitaristes de rock ont souvent besoin d’un système de trémolo (ou vibrato). Il s’agit d’une barre de trémolo – ou vibrato – (“whammy bar” en anglais) qui peut ajouter ou supprimer la tension sur les cordes, permettant au guitariste de produire des notes en bend sur les six cordes en même temps. Le problème des systèmes de trémolo sur les guitares est qu’ils ne reviennent pas toujours à un point neutre lorsque le musicien a fini de produire un bend. Ainsi, une ou plusieurs cordes peuvent finir désaccordées. Le trémolo synchronisé de Fender avait ce problème, et les problèmes se résumaient toujours à la friction induites par les cordes sur le chevalet.
Le bras du trémolo est probablement le morceau de la guitare de Brian May dont on parle le plus. Le bras lui-même a été construit à partir du bras d’un porte-bagages de bicyclette. L’extrémité métallique pointue de la baguette ferait du jeu de la Red Special une expérience douloureuse. Brian a résolu ce problème en faisant une descente dans le tricot de sa mère. Une grande aiguille à tricoter, coupée et formée juste à point, sert de pointe au bras trémolo.
Bras et ressort du trémolo : le ressort provient d’un ressort de soupape intérieure de la Panther de 1928, le bras du porte-bagages de selle de bicyclette de Brian et la pointe du bras du trémolo a été façonnée à partir d’une des aiguilles à tricoter de Mme May. La douille en bronze a été soudée à l’argent par Brian et Harold sur le bras en acier chromé
Cordier de trémolo : “une oeuvre de génie de Brian et Harold et sans doute le meilleur système de trémolo pour guitare jamais conçu” dit de lui Greg Fryer.
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Brian et Harold ont passé beaucoup de temps sur le système de trémolo. Ils ont utilisé le manche de la guitare en cours pour créer un banc d’essai de trémolo. Ils ont procédé à trois révisions avant de se mettre d’accord sur la conception finale. La friction est éliminée partout où c’est possible. L’ensemble du trémolo repose sur une lame de couteau, que Brian et Harold ont durcie à l’aide d’un composé de cémentation sur la cuisinière. Les cordes sont montées sur des selles à rouleaux. Brian a fabriqué chacun des rouleaux en utilisant une perceuse à main comme une sorte de tour manuel. Les rouleaux ne sont pas captifs – une corde cassée pendant un concert signifie donc qu’un rouleau rebondit quelque part sur scène. Le passage à une conception captive obligerait Brian à changer son style de jeu, il garde donc une bonne réserve de rouleaux de rechange à portée de main. Dans l’ensemble, il s’agissait d’un concept révolutionnaire. Selon les propres termes de Brian, “…tout le monde disait que j’aurais dû le breveter, mais les brevets sont une plaie, et pourquoi ne pas tout partager avec le monde ?”
Le sillet de tête est également un modèle sans frottement. La Red Special utilise une frette à zéro, de sorte que les cordes n’ont pas besoin de toucher le sillet pour rester en accord. Il s’agit simplement d’un guide entre la frette zéro. Par ailleurs, on remarque que les cordes passent quasiment droites sur le sillet. En effet, il n’y a que très peu d’angle horizontalement ou verticalement entre le sillet et les mécaniques.
Cependant, même si la friction est éliminée, il faut que quelque chose fournisse suffisamment de force pour maintenir la justesse des cordes, tout en restant assez léger pour que le guitariste puisse utiliser la barre de trémolo. La plupart des systèmes de trémolo utilisent pour cela des ressorts de tension à l’arrière de la guitare. Brian et Harold ont opté pour des ressorts de compression montés à l’avant de la guitare. Plus précisément, ils ont utilisé des ressorts de soupape provenant d’une moto. Selon la personne qui raconte l’histoire, il s’agit d’une moto Panther de 1928.
Deux trous dans le bas de la guitare, près du bouton de la courroie, permettent à Brian d’ajuster la tension de l’ensemble du système.
Les 2 ressorts de soupape de la Panther 1928 utilisés sur le système de trémolo unique de Brian et Harold
Autre vue du système de trémolo placé côté table de la guitare, avec les 2 ressorts bien visibles.
Les sélecteurs
Le système de commutation des micros est l’une des différences les plus frappantes entre la Red Special et les guitares de l’époque. La plupart des guitares ont un sélecteur à deux ou trois positions pour choisir l’un des micros. Alors que la guitare de Brian May possède six sélecteurs.
Lors de la construction de la Red Special, Brian a testé différentes configurations pour le câblage des micros. Les micros pouvaient être câblés en parallèle ou en série, et câblés en phase ou déphasés. Brian ne pouvait pas se décider sur une ou deux configurations seulement, alors Harold et lui ont créé une matrice de sélection qui lui a donné plus de flexibilité. Les micros sont câblés en série. La rangée supérieure de sélecteurs (du point de vue du guitariste) active ou désactive chacun des trois micros.
Ensuite, la rangée inférieure de sélecteurs inverse la polarité de chaque micro, ce qui permet de moduler la phase. Les possibilités sonores sont assez vastes et Brian May n’hésite pas à changer ses réglages su cours d’un même morceau. Par exemple, le solo de Bohemian Rhapsody est joué avec les micros manche et central déphasé
Le réglage du solo de Bohemian Rapsody avec micros manche et central utilisés et déphasés.
Le guitariste de Queen nous explique cela en vidéo avec un petit tuto pour son solo !
Micros
Chaque partie de la Red Special a été un processus d’essais et d’erreurs. C’est le véritable esprit “hacker” qui se cache derrière la guitare. La plupart des essais n’ont pas fonctionné la première fois, mais Brian et Harold ont répété jusqu’à ce qu’ils atteignent leurs objectifs. Les micros en sont un exemple.
Il a acheté des aimants à boutons Eclipse Magnetics à la quincaillerie du coin. Ces aimants formaient le noyau du micro. Harold l’a ensuite aidé à construire une machine à bobiner, qui a permis à Brian d’enrouler manuellement des milliers de tours de fil de cuivre fin autour des micros.
Le micro manche de la Red Special sans son capot et vu de dessus
La machine “maison” pour l’enroulage des micros (c) theredspecial.com
Plans des micros originaux de la Red Special, dessinés par Brian et datés du 28 novembre 1962 (c) theredspecial.com
Un schéma du câblage des micros et des interrupteurs du Red Special. (c) theredspecial.com
Puisque Brian n’avait pas d’ampli alors, il s’est branché sur la radio de la famille. Les micros ont fonctionné ! Ils avaient un son très brillant, mais ils avaient un défaut. En jouant des notes avec des bends, Brian a découvert qu’il y avait un son bizarre lorsque la corde se déplaçait sur le micro. Malgré ce défaut, ce fut le setup original utilisé dans la Red Special. Sur la première photo de l’article on distingue l’aspect particulier de ces micros originaux.
Finalement, Brian pu régler le problème de son en changeant les micros originaux pour trois micros Burns Tri-Sonic pour guitare. Il les a recouverts d’époxy pour réduire l’effet de microphonie et les a ensuite installés dans la Red Special.
Petite chose amusante pour finir, le guitariste de Queen joue non pas avec un médiator plastique mais avec … une pièce de monnaie (“six pence”). On note l’effet que ça donne sur les capots de micros des dizaines d’années plus tard !
La finition
Le guitariste de Queen nous raconte : “Je voulais que ce soit un acajou rehaussé de couleur naturelle – brun rougeâtre – qui fasse un peu ressortir le rouge, par rapport à un simple vernissage sur du bois nu. Nous avons utilisé une sorte de teinture douce pour le bois et nous avons ensuite appliqué de nombreuses couches de Rustin’s Plastic Coating. Je l’ai brossée et entre chaque couche successive, une fois sèche, j’ai travaillé avec du papier de verre très fin, du papier émeri, du papier de verre et enfin de la pâte de carborundum jusqu’à ce que j’obtienne finalement une finition vitreuse. C’est une autre compétence que mon père m’a apprise – les tables et les bibliothèques qu’il a fabriquées avaient toutes une finition parfaite ! La finition de Rustin a subi beaucoup d’usure au cours de l’année, mais elle a étonnamment bien résisté”.
Après la construction
Brian May nous explique que “le premier engagement public [qu’il a] joué a eu lieu en 1966, avec [son] premier groupe, en 1984, au Molesey Boat Club de Putney.
C’était aussi le premier concert de la Red Special, bien qu’à ce moment-là, elle disposait encore des micros originaux faits maison. ”
Mais ce n’est que dans les années 1970 que Queen a fait un tabac. Depuis lors, la Red Special a fait le tour du monde et a joué dans d’innombrables concerts. Brian a fait faire des copies – notamment celles de Greg Fryer. Mais son instrument principal est toujours le même que celui que lui et son père ont construit il y a près de … 55 ans.
On pourrait penser qu’un instrument fait à la main comme celui-ci nécessiterait une tonne d’entretien. Il s’avère que la Red Special était si bien faite qu’elle n’a jamais eu de problème majeur. En 1998, la Red Special a été révisée en profondeur et remise à neuf par les mains expertes du luthier australien Greg Fryer. Son site web détaille le travail effectué et comprend des photos étonnantes des intérieurs de la Red Special.
À la fin de la tournée Queen + Paul Rodgers en 2005, Brian a de nouveau fait faire plusieurs mises à jour à sa Red Special, notamment en faisant remplacer pour la première fois la frette zéro (il a été jugé qu’elle n’avait pas besoin de changement lors de la révision de 1998) et en faisant également une plus grande ouverture pour un nouveau style de jack. Malgré tout ce travail, toutes les frettes d’origine restent originales et n’ont pas été changées au cours de ses 40 ans de vie (!), certaines s’usent mais n’ont toujours pas été remplacées.
Mais au fait, pourquoi ce nom Red Special ?
Brain May nous raconte : “cela remonte à loin. Au début, elle n’était que “la guitare”, et je pense que c’est Jock, l’un de mes premiers techniciens de guitare, qui, dans un moment de ce que l’on pourrait appeler une sur familiarité, a comparé son fardeau de s’en occuper à celui d’une épouse, en appelant mon trésor “la vieille dame”. L’appellation avait de l’attrait, et elle a en quelque sorte pris racine pendant un certain temps. Mais, pour moi, cet instrument très personnel, avec ses humbles débuts dans l’esprit et les mains de mon père et de moi-même, méritait un peu plus de respect que cela.
“Je me suis souvenu qu’au moment où nous avons fini la couche de vernis, mon père avait voulu la baptiser “Brian May Special”, que je trouvais pas terrible. Mais je me rendis compte qu’il n’était pas si dingue de vouloir lui donner un nom propre. Alors un jour, dans une interview à la radio, quand quelqu’un m’a demandé comment j’appelais la guitare, les mots Red Special sont tombés avant que j’aie eu le temps de réfléchir. Et à partir de ce moment-là, c’était son nom. Il y a maintenant quelques milliers de répliques de Red Special dans le monde, mais mon premier amour garde encore un peu de son mystère. Elle est, après tout, unique !”
Conclusion
Combien le guitariste de Queen a-t-il dépensé pour sa guitare ? 17,50 £ !
Pour faire simple, la “Red Special” est une œuvre de génie qui répond à de nombreux problèmes de conception, tels que le système de cordier/ chevalet tremolo et la conception de la tête de la guitare, bien mieux que toutes les autres guitares contemporaines à succès de l’époque (pensez à la Fender Stratocaster, à la Gibson SG et à la Les Paul, etc.) En particulier dans les deux domaines de la conception de la tête et du système de cordier/ chevalet à trémolo, aucune guitare depuis le milieu des années 60 n’a dépassé la conception innovante de Brian et Harold.
Sources
Les images et les informations sont tirées de plusieurs sources sur le web.
- Une vidéo (en anglais)
- Le site de Greg Fryer qui raconte la réparation de 1998
- Le site à propos du livre – récemment enrichi – de Brian May et Simon Bradley sur la Red Special
- Pour commander ce même bouquin
- Site du Daily Mail
- Site d’informations en anglais
Autres liens
Tiens ! En parlant de Queen. Retrouvez Nico Sarro – artiste qui représente Favier Guitars – avec une reprise de “Who Wants To Live Forever” de Queen.